Résumé :
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A mon sens l’invention de l’humanitaire moderne a profondément bouleversé le monde. Ce fut et c’est un changement politique, au sens le plus généreux et le plus large du terme. Les humanitaires, à l’origine, ne se sont d’ailleurs pas rendu compte qu’ils poursuivaient un but forcément politique. Par principe, ils refusaient la politique et croyaient faire tout autre chose de plus humain, de moins sectaire. Lors de la première réunion où nous avons créé Médecins sans Frontières, j’ai dit : « C’est le prix Nobel de la paix que vous venez de créer. » C’était évident pour moi. Mais je n’ai pas prononcé le mot politique : je faisais alors l’humanitaire avec des médecins catholiques et certains laboratoires qui étaient venus nous prêter main-forte, et ce mot aurait été malvenu. Je me planquais pour ne pas choquer, car la politique, le mot politique restait péjoratif. Ils voulaient soigner, tenter de sauver, je voulais soigner et changer le monde, combattre le massacre. A l’origine, dans l’équipe du Biafra, peu partageaient cette démarche politique. La gauche, globalement, ne la comprenait pas. Seuls Sartre, Beauvoir et Claude Lanzmann acceptaient de voir qu’il ne s’agissait pas seulement de charité mais bien d’une nouvelle politique. Ils étaient d’ailleurs les seuls à avoir compris aussi que, durant la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, les étudiants communistes que nous étions luttaient autant pour la liberté de ce pays que contre le stalinisme. A notre retour du Biafra, toute la gauche, à part eux, a ricané : on fait la révolution, on ne donne pas une pièce à la sortie des églises ; la solidarité est une notion profondément politique qui requiert de réels changements dans la société ; pour eux, au mieux j’étais un genti…
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