Résumé :
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Avec douceur et modération, Mme de Romilly nous alerte : la France est en train de se perdre, dans son esprit, dans son âme; elle s'enfonce graduellement, peut-être irrésistiblement, dans la nuit de l'ignorance. Les exemples apportés ici sont navrants; certains peuvent, un moment, réjouir mais, à la réflexion, ne sauraient qu'attrister. Mme de Romilly analyse les causes principales de cette maladie, de cette lèpre qui gagne notre pays : à la base, il y a une perversion pédagogique, la pédagogie elle-même, considérée comme un art, une forme pure, indépendante de tout contenu; un désir de tout changer, de tout bouleverser, peut-être, à l'arrière plan, un mépris provisionnel à l'égard de tout ce que l'on ignore, et dont on proclame l'inutilité — soit que l'on n'ait jamais eu la possibilité de l'apprendre, soit que l'on n'en ait pas eu le courage. Il ne reste alors qu'un minimum, la langue même, et c'est elle, finalement, qui fera les frais de cette vaste opération. Jadis, on a découvert que le latin et le grec, n'étant pas des langues parlées, ne méritaient pas d'être enseignées, puisque "elles ne servaient à rien". Mais le français, puisqu'il est parlé, donc, théoriquement connu, ne mérite pas non plus d'être enseigné. Et l'on nous cite des "opinions" officiellement professées : tous les cours se donnant en français, le professeur de physique, celui d'histoire (s'il en reste I), le professeur de gymnastique, aussi (pourquoi pas lui ?) sont en fait autant de professeurs de français. Alors, on réduira, avec bonne conscience, l'horaire du français, pour introduire l'informatique ou autres jouets, qui devraient être mis au service d'une pensée déjà constituée, et consciente d'elle- même, et non l'inverse : certes, il est des instruments pour aider l'intelligence, multiplier son efficacité, alléger ses démarches; il n'en est pas, il ne saurait y en avoir pour la remplacer.
Dans cette revue, il convient d'insister sur la situation créée par cet ostracisme qui frappe les langues "de culture", et notamment l'apprentissage grammatical. On peut rappeler une distinction, sur laquelle nous avons naguère attiré l'attention (1), entre les deux manières d'utiliser une langue. La première consiste à la parler, pour des fins pratiques. A ce plan, une langue est un instrument vocal, un outil qui n'a de valeur que s'il nous aide effectivement à atteindre le but poursuivi. Peu importe le métal, précieux ou non, dont est fait une clef anglaise. Une langue est alors comparable à un tableau de commandes, sur lequel on poussera tel bouton pour obtenir tel ou tel effet. Elle sert à agir sur les autres, avec une tolérance de précision assez grande.
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